lundi 23 janvier 2012

F-X, au théâtre du Lucernaire


Fêlures et surface sensible


FX (théâtre du Lucernaire)
Texte : Michael Stampe
Mise en scène et scénographie : Christophe Lidon
Distribution : Jérôme Pradon



Héros d’une vie diurne plus qu’ordinaire, François-Xavier ne laisse crier sa passion que dans les quelques mètres carrés de son appartement, la nuit, amoureux fou de photographie, amant jaloux de chaque nuance des moindres détails techniques ou spatiaux de l’appareil, de l’objectif, de la lumière ou du sujet.
Et le sujet photographique auquel "F-X" s’est astreint est l’autoportrait : « Je suis mon seul sujet. ». Mais plus que son seul visage, F-X explore son corps : de gros plan en plongée, il arrête son attention fiévreuse et passionnée sur un pli de son drap sur le lit, sur un muscle précis qu’il a spécialement travaillé, au plus près du grain de peau et du grain photographique après lequel il court toutes les nuits.
La fascination qu’il a devant les épreuves qui en résultent sont toutes dénuées de mégalomanie : il a un chef d’œuvre à exécuter, nous dit-il, à savoir peut-être celui de se reconstruire par ses instantanés, sur surface sensible. À cette fin, seuls comptent la beauté objectivement esthétique et  le caractère cérémoniel que revêt la prise de vue, cet instant en suspension où éclatent ses choix artistiques.
La photographie est une « gestation », dont F-X est quelque part à la fois le père et l’enfant : il est celui qui créé mais aussi celui qui se dévoile (et qui, par là, est créé), corps et âme, talent et passion.

Déjà pris dans le paradoxe de se cacher pour « s’exposer », au sens très muséal du verbe, les photographies qu’il publie sur la toile ne recueillent que des commentaires glacés et sordides, à mille lieux de la recherche esthétique qui est la sienne. Son public assisté par ordinateur ne reçoit, ne conçoit ces autoportraits et leur publication qu’en termes d’exhibition, de sexe et de provocation. 
F-X bouillonne d’être aussi incompris, il est seul et perdu dans un monde de voyeurisme solitaire et de commentaire à tout prix, quelqu’en fut le sens, dans un monde de communication où tout a viré trop vite au cynisme et à l’obscénité.
Malgré cela, f-x se livre rageusement, comme s’adressant à la lumière changeante qui l’entoure, la seule à le comprendre vraiment. Il explique son rapport plus qu’intime à la photographie comme à un spectateur idéal, assez attentif pour déceler que « cliché après cliché, les créatures pécheresses tournoyantes de Michel-Ange trouvent leur double dans [son] jugement ».


Révélé à Avignon en 2009, F-X est soutenu à bouts de bras et de souffle par la performance nerveuse et la présence scénique de Jérôme Pradon, qui s'approprie un texte et des réflexions ne lui semblant pas totalement étrangers. Entre le lit, la fenêtre et l’ordinateur, la scénographie dépouillée – voire dénudée – oscille irrégulièrement de l’ombre à la lumière, sertie de flashs sous lesquels le spectateur tressaille, brusquement ramené à la position mi-outrée, mi-honteuse du voyeur pris sur le fait. 
Seul face au vide et à lui-même, les anecdotes d’une enfance heurtée, d’erreurs de jeunesse, de cicatrices encore palpables, touchent par leur franchise abrupte. La vulnérabilité du personnage, qui transparaît tantôt dans le drame, tantôt dans la légèreté, n’a d’égal que sa détermination dans la recherche esthétique.

« À chaque effondrement je lutte, pour me redresser, avec la force de tous mes muscles bandés ; je lutte en montrant mon corps, tout mon corps, pour qu’il défonce la rétine de centaines d’humains ».



Au Lucernaire jusqu’au 18 février, du mardi au samedi à 21h.
53 rue Notre-Dame des Champs (6ème arrt.), Métro Notre-Dame des Champs
Infos et réservations : 01 45 44 57 34 / www. lucernaire.fr