Fêlures et surface sensible
FX (théâtre du Lucernaire)
Texte : Michael Stampe
Mise en scène et scénographie : Christophe Lidon
Distribution : Jérôme Pradon
Héros d’une vie diurne plus qu’ordinaire, François-Xavier ne
laisse crier sa passion que dans les quelques mètres carrés de son appartement,
la nuit, amoureux fou de photographie, amant jaloux de chaque nuance des
moindres détails techniques ou spatiaux de l’appareil, de l’objectif, de la
lumière ou du sujet.
Et le sujet photographique auquel "F-X" s’est astreint est
l’autoportrait : « Je suis mon seul sujet. ». Mais plus que son seul
visage, F-X explore son corps : de gros plan en plongée, il arrête son
attention fiévreuse et passionnée sur un pli de son drap sur le lit, sur un
muscle précis qu’il a spécialement travaillé, au plus près du grain de peau et
du grain photographique après lequel il court toutes les nuits.
La fascination qu’il a devant les épreuves qui en résultent sont
toutes dénuées de mégalomanie : il a un chef d’œuvre à exécuter, nous
dit-il, à savoir peut-être celui de se reconstruire par ses instantanés, sur
surface sensible. À cette fin, seuls comptent la beauté objectivement
esthétique et le caractère cérémoniel
que revêt la prise de vue, cet instant en suspension où éclatent ses choix
artistiques.
La photographie est une « gestation », dont F-X est quelque part à la
fois le père et l’enfant : il est celui qui créé mais aussi celui qui se
dévoile (et qui, par là, est créé), corps et âme, talent et passion.
Déjà pris dans le paradoxe de se cacher pour « s’exposer »,
au sens très muséal du verbe, les photographies qu’il publie sur la toile ne
recueillent que des commentaires glacés et sordides, à mille lieux de la
recherche esthétique qui est la sienne. Son public assisté par ordinateur ne reçoit,
ne conçoit ces autoportraits et leur publication qu’en termes d’exhibition, de
sexe et de provocation.
F-X bouillonne d’être aussi incompris, il est seul et
perdu dans un monde de voyeurisme solitaire et de commentaire à tout prix,
quelqu’en fut le sens, dans un monde de communication où tout a viré trop vite au
cynisme et à l’obscénité.
Malgré cela, f-x se livre rageusement, comme s’adressant à
la lumière changeante qui l’entoure, la seule à le comprendre vraiment. Il
explique son rapport plus qu’intime à la photographie comme à un spectateur
idéal, assez attentif pour déceler que « cliché après cliché, les créatures
pécheresses tournoyantes de Michel-Ange trouvent leur double dans [son]
jugement ».
Révélé à Avignon en 2009, F-X est soutenu à bouts de bras et de souffle par la performance nerveuse et la présence scénique de Jérôme Pradon, qui s'approprie un texte et des réflexions ne lui semblant pas totalement étrangers. Entre le lit, la fenêtre et l’ordinateur, la scénographie
dépouillée – voire dénudée – oscille irrégulièrement de l’ombre à la lumière,
sertie de flashs sous lesquels le spectateur tressaille, brusquement ramené à
la position mi-outrée, mi-honteuse du voyeur pris sur le fait.
Seul face au vide et à lui-même, les anecdotes d’une enfance
heurtée, d’erreurs de jeunesse, de cicatrices encore palpables, touchent par
leur franchise abrupte. La vulnérabilité du personnage, qui transparaît tantôt
dans le drame, tantôt dans la légèreté, n’a d’égal que sa détermination dans la
recherche esthétique.
« À chaque effondrement je lutte, pour me redresser,
avec la force de tous mes muscles bandés ; je lutte en montrant mon corps,
tout mon corps, pour qu’il défonce la rétine de centaines d’humains ».
Au Lucernaire jusqu’au 18 février, du mardi au samedi à 21h.
53 rue Notre-Dame des Champs (6ème arrt.), Métro Notre-Dame des Champs
Infos et réservations : 01 45 44 57 34 / www. lucernaire.fr
53 rue Notre-Dame des Champs (6ème arrt.), Métro Notre-Dame des Champs
Infos et réservations : 01 45 44 57 34 / www. lucernaire.fr