mardi 7 octobre 2014

DALI conférences imaginaires

à la salle Ariel, annexe au Théâtre André Malraux (Rueil Malmaison)

par la compagnie Fahrenheit 451


Texte et mise en scène : Christophe Gauzeran
Conception vidéo, univers sonore et scénographie : Christophe Tostain
Composition lumières : Pierre Émile Soulié

Avec Philippe Kieffer et Christophe Gauzeran

© DR


Ouverture sur une projection vidéo d’un rhinocéros, ornée de la bande-son d’une corrida…

Dali est assis sur un fauteuil, un interlocuteur le rejoint à une petite table à côté, le laisse seul à nouveau par moments. Et toute la représentation oscillera entre l’ambiance folâtre et nerveuse d’une conférence — comme celle qu’il a réellement tenue en 1955 à la Sorbonne — et celle, plus intime et sensible, d’une entrevue-portrait. C’est que le texte de Christophe Gauzeran a pour base la conférence de la Sorbonne ainsi que les livres du maître, notamment La vie secrète de Salvador Dali et Journal d’un génie.

Celui qui consent à s'entendre appeler "Divin Dali" ne fait pas cette conférence en France par hasard : c’est selon lui
« le pays le plus rationnel au monde ». C'est pourquoi, de temps en temps, un génie vient d’Espagne, « le pays le plus mystique au monde », pour faire frissonner la France.
Dali voit la peinture en lente décadence depuis la Révolution Française. Lui, aspirait au classicisme académique avec lequel il a grandi : Raphaël, Vermeer, Vinci ou Velasquez.
Il n’a d’ailleurs que 3 conseils à donner aux jeunes peintres : 

« Apprendre à peindre comme Raphaël… Apprendre à peindre comme Raphaël… 
Et… Apprendre à peindre comme Raphaël. »

Seul autre génie qu’il reconnaît à part lui, il voit Picasso comme un anarchiste, violent, qui a réussi à cocufier les critiques avec des oeuvres que Dali juge aussi médiocres que les siennes. Mais il est reconnaissant et admire Picasso, pour le fait qu’il porte des coups si violents dans le champs des possibles en matière de décadence : ainsi peut-être on atteindra les limites de celle-ci afin de revenir à des standards plus sérieux…

Par ailleurs, il a dressé un tableau où il note, très sévèrement, de nombreux peintres : en termes de technique, d’inspiration, de génie, d’originalité, de mystère, d’authenticité…


On revient sur son rapport aux Surréalistes, et à son éviction du groupe. Ceux-ci lui reprocheront tout d’abord l’usage de certaines matières sur ses toiles, sang, excréments, certains motifs aussi, scatologiques pour beaucoup, qu’il tente de masquer et de dissimuler de plus en plus.
Mais la vraie querelle avec le groupe et notamment avec André Breton sera politique, ou tentera de l’être malgré l’évident manque de sérieux de Dali pour ces considérations. Tout commence avec L’Enigme de Guillaume Tell, dont la représentation de Lénine (à la fesse molle de trois mètres) est jugée comme un acte contre-révolutionnaire par le groupe des Surréalistes qui tenteront un attentat à l’arme blanche contre l’oeuvre exposée.


© DR

« Les hommes naissent fous, et demeurent libres et égaux dans l’imagination. »


Mais les vrais troubles ont commencé avec la montée d’Adolf Hitler, pour qui Dali ressentit une fascination presque morbide, disant notamment voir sa personnalité comme étant celle d’une femme. Il représenta donc dans une toile une nourrice à l’air aimant dotée d’un brassard nazi, brassard qu’il lui fut demandé d’effacer par les Surréalistes.
Sa fascination pour Hitler n’est pas politique, mais esthétique. « La chair dodue d’Hitler, à la peau blanchissime, la mollesse de cette chair hitlérienne comprimée sous la tunique militaire provoque en moi un état d’extase gustatif, laiteux, nutritif et wagnérien ».
Et il ajoute s’être écrié : « Cette fois-ci, ça y est : je crois que j’ai atteint la vraie folie ! »
Il met cette aspiration sur le compte de son esprit de contradiction, congénital chez lui. Et puis, il espérait qu’au moins que l’anti-catholicisime d’Hitler suffirait à le rendre sympathique aux yeux de Breton… Au lieu de cela, celui-ci l’exhorte de couper court à ce délire hitlérien, lui demande le retrait de L’Enigme de Guillaume Tell, et le convoque à une assemblée exceptionnelle des Surréalistes, en vue d’un vote de rupture du groupe à son encontre, le 5 février 1934.
Son récit de cette assemblée est surréaliste en soi : arrivé fiévreux, engoncé dans un manteau en poil de chameau et un thermomètre dans la bouche (« afin de mesurer en permanence ma température »), passant de bouffées de chaleur en frissons successifs, Dali se déshabille puis se rhabille, agace ses « juges » et provoque l’hilarité de l’assistance avant même que d’avoir ouvert la bouche. Breton, « le procureurrrr généralllllll », le somme de s’expliquer, mais, du fait du thermomètre qu’il tient toujours en bouche, les explications dans lesquelles il se lance quant à son obsession paranoïaque et suicidaire pour Hitler resteront incompréhensibles pour l’assistance.
« Je me moque bien des calomnies que peut lancer contre moi André Breton qui ne me pardonne pas d’être le dernier et le seul surréaliste »

Formé au Surréalisme et l’ayant incarné voire dépassé (selon lui, du moins), Dali en assume le contenu sadique, et a constaté, presque malgré lui, un amour grandissant pour la putréfaction et ce qu’il considère toujours comme décadence.
C’est par là qu’il en est venu à ce qu’il appelle sa « méthode paranoïacritique », et qu’il définit comme une méthode spontané de connaissances irrationnelle, « une pensée active, agissante », inventée par lui-même mais qu’il dit n’avoir toujours pas comprise… Procédant par association de divers phénomènes délirants afin d’accéder, celle-ci lui permet d’accéder à une autre réalité. Se disant paranoïaque par structure d’esprit, il confronte une intuition à la réalité, et y mêlent souvent ses obsessions d’enfance pour les béquilles, les montres, le chou-fleur, la corne de rhinocéros…Par exemple, la vue d’un camembert coulant au coin d’une table, qu’il relie assez naturellement à l’idée du temps, et enfin à son fétichisme des montres, d’où, par transposition, ses fameuses « montres molles ».

Salvador Dalí, "La Persistance de la mémoire", 1931

La pièce est ponctuée de courts passages musicaux où une oeuvre en particulier nous est donnée à voir, dans une lumière marquée, presque en contemplation et en recueillement.

« S’agit-il du vrai Dali qui nous parle ? », lui demande son interlocuteur.
« — Bien-sûr… que non ! Ce que vous voyez ce soir n’est qu’une petite partie de Dali, celle que je conserve pour ce genre de manifestations. »
C’est en tout cas un Dali sincère bien que complexe.

On lui a reproché son attrait pour l’argent, notamment André Breton et son anagramme qu’il croyait injurieux « AVIDA DOLLARS ». Dali assume et déclare même avoir signé par centaines des lithographies en blanc, c’est-à-dire vendu sa signature. Seulement, s’il l’a fait, c’est dans le but qu’on puisse trouver des faux Dali jusqu’en Inde dans une centaine d’années… Acte surréaliste s’il en est, « suicide surréaliste » selon lui.
Conscient qu’il restera de lui une image excentrique, il finit dans un soupir par espérer que « de temps en temps on prenne la peine de regarder mes tableaux », afin peut-être d’y reconnaître ses aspirations profondes d’académisme et de canons. Dans une société et une époque qu’il voit passer d’une extrémité à l’autre, incapable qu’elle est désormais d’apprécier les nuances, un tel regard, complexe et multiple, sur le personnage et sur ses oeuvres est-il si évident que cela ?

« Le clown ce n’est pas moi,
mais ce monde cynique qui joue le jeu du sérieux. »

Son interlocuteur se rend compte qu’il ne l’a pas encore interrogé sur Gala. Mais ce sera pour une autre fois : pour parler de Gala, « il faudrait rester ensemble encore de nombreuses nuits »…



Philippe Kiefer plante d’entrée un personnage que l’on reconnait au-delà des aspects physiques — les fameuses moustaches, dont nous est livrée une explication. L’accent prononcé de l’espagnol, les mots pantagruéliques du paranoïaque, le verbe haut du Surréaliste, et la posture très droite de son éducation qui contraste avec son esprit retors.


Christophe Gauzeran, qui incarne son interlocuteur, sait estomper son charisme habituel pour mieux porter la lumière sur le personnage qu'il sert.
Il signe là un portrait sans compromis mais tout en nuance d’une personnalité complexe, sur une structure et à un rythme qui emporte le spectateur et, malgré la densité du contenu, font paraître ce moment trop court.


                                                              ***


Créée en 2003, la compagnie Fahrenheit 451 se propose d’assurer des aller-retours entre les auteurs contemporains et la transmission de textes classiques plus ou moins oubliés, des répertoires français et espagnol du XVIIe siècle en particulier.
Le travail tente autant que possible d’aller vers une simplicité revendiquée de la mise en scène pour laisser le comédien face au texte dans une lisibilité maximale du drame et une théâtralité assumée. La compagnie a aussi la volonté d’aller, dans ses créations, vers d’autres formes de spectacle afin de nourrir sa recherche théâtrale.
 

 Spectacles précédents:
"Croisades", de Michel Azama
"Gelsomina", de Pierrette Dupoyet
"Don Quichotte", de Daniel Guérin de Bouscal
"Lamineurs", de Christophe Tostain
"Comment j'ai mangé du chien", d'Evgueni Grichkovets
 


La compagnie Fahrenheit 451 est soutenue par le Conseil général des Hauts-de-Seine et par la ville de Bois-Colombes.


Reprises : (information en cours)

lundi 29 septembre 2014

OBLOMOV

au Théâtre André Malraux (Rueil Malmaison)

                                                                          de Ivan Alexandrovitch Gontcharov
Par l'Atelier Théâtre Actuel et la Comédie Française
Adaptation et mise-en-scène de Volodia Serre
Traduction d’André Markowicz

Collaboratrice artistique, Pamela Ravassard
Scénographie de Marc Lainé

Vidéo de Thomas Rathier
Costumes de Hanna Sjödin
Lumières de Kévin Briard
Réalisation sonore de Frédéric Minière
Maquillages de Faustine-Léa Violleau
 

avec
Yves Gasc : Zakhar Trofimovitch
Coraly Zahonero : Agafia Matveïevna
Guillaume Gallienne : Ilia Ilich Oblomov
Nicolas Lormeau : Ivan Alexeïevitch Alexeïev
Sébastien Pouderoux : Andreï Ivanovitch Stolz
et
Raphaèle Bouchard : Olga Sergueïevna Ilinska

 

L’ Oblovisme est un solipsisme


Ilia Ilich Oblomov (du russe « oblom » : cassure) est un stakhanoviste de la paresse, fataliste et oublieux, dont le but premier semble vouloir être la fusion totale avec son divan, et l’étreinte la plus parfaite de sa robe de chambre. 
Faux hypocondriaque, son humeur peut varier brusquement d’une irascibilité naturelle à la faiblesse extrême, feinte dans le but d’apitoyer sur son sort, notamment vis-à-vis de son domestique, Zakhar Trofimovitch, un homme simple écartelé entre les désidératas capricieux de son maître. Ambigüité classique de leur relation maître-domestique : la question de savoir qui domine réellement, qui a besoin de l’autre…

© Brigitte Enguérand / collection de la Comédie Française

Oblomov nous dévoile déjà, dans son rapport avec Zakhar, un peu du complexe d’infériorité et de supériorité qu’il développe par ailleurs. Supériorité qu’il se sent avoir par rapport aux « autres », auxquels il ne supporte d’être comparé, obligés qu’ils sont de travailler, comme Ivan Alexeïev, dont Oblomov partageait la tâche quelques années auparavant, et qu’il méprise ostensiblement depuis.
Infériorité vis-à-vis de son ami Andrey Stolz, dont il partageait pourtant les aspirations, étant jeune : désormais, sa réussite dans les affaires, ses voyages incessants et le fait qu’il côtoie le grand monde font rêver Oblomov autant qu’il en est paralysé.

Ilia tire les rideaux, et se recouche de plus belle. Il fait tourner un disque où flotte la version instrumentale de l’aria Casta Diva, ainsi qu’une petite veilleuse dont la lueur virevolte sur les murs de sa chambre, lueur dans laquelle, progressivement, apparaissent des images de souvenirs anciens, de figures et de rêves. Les projections audiovisuelles ainsi employées, à plusieurs reprises, sont du plus bel effet, et donnent comme un cadre onirique et psychique à la torpeur du personnage.

Oblomov se rassure, prétendant songer au bien commun durant ce qui semble en effet un sommeil.
Menacé d’expulsion par le propriétaire du vétuste appartement qu’il occupe à Saint-Petersburg, de faillite par le gérant du domaine familial, Oblomovka, où il ne met plus les pieds tout en y fantasmant son retour… Autant d’éléments perturbateurs semblant contraindre Oblomov à prendre une décision. Mais son cerveau malade lui trouve tous les subterfuges de l’inaction et ne veut écouter les conseils, certes très terre-à-terre, d’Ivan Alexeïev. « Si seulement Stolz était là… Lui trouverait une solution à mes problèmes… Lui, c’est un homme… »
 
© Brigitte Enguérand / collection de la Comédie Française

Mais quand celui-ci arrive, Oblomov déchante : Stolz n'est pas tant venu régler les tourments de son ami que tenter de le secouer et le sortir enfin de cette léthargie qu’il nomme d’ailleurs « oblomovisme ». Avant que de l’emmener avec lui pour Paris, il le confie à Olga Sergueïevna Ilinska, chanteuse d’opéra, le temps pour Oblomov d’obtenir un passeport. Oblomov — à peine a-t-il entendu Olga chanter Casta Diva — s’en éprend très vite.
Ces sentiments parviendront à le relever, mais pour combien de temps? Le temps qu’un nouveau fatalisme ne soit fomenté par son esprit sinueux : la peur consciente de l’abandon, et celle, inconsciente, de se lasser, comme il s’est lassé auparavant des livres, de la société et de la vie.
Oblomov réfléchit trop aux obstacles à venir, mais pas assez pour voir que ceux-ci ne sont, pour l’instant, que le fruit de son imagination peureuse et pessimiste.

Une analepse nous situe brièvement l’enfance gâtée d’Ilia, choyé et encadré par une mère qu’il suivait partout, notamment en promenades, et qui décidait de tout…

Ayant fui Olga et ses sentiments à son égard, Oblomov finit par trouver la tranquillité qu’il recherchait — et la « fosse » que Stolz craignait — à la campagne, chez la soeur d’Ivan Alexeïev, veuve de son état mais excellente maîtresse de maison.
Il finira sur son divan, entouré d’un silence médiocre où il n’y a « plus rien à raconter »…

© D.R. Théâtre André Malraux

L’adaptation et la mise-en-scène de Volodia Serre fait se succéder trois temps quant à la position d’Oblomov : « l’homme couché - l’homme debout - l’homme flottant ». Le rythme, assez lent pour le moins, rend bien au spectateur son lambinage ankylosé.
Un jeu sensible et drôle à la fois, où l’on retrouve notamment l’énergie de Guillaume Gallienne, cachée, grimée sous la léthargie de son personnage.


Oblomov est-il cet enfant dont les peurs sont plus fortes que l’énergie, ou dont les rêves sont plus doux que la réalité, et qui reste immobile pour ne pas souffrir (ce à quoi il ne parvient pas d’ailleurs)?

Ou bien est-il un prototype du bobo de l’hyperclasse inconscient des rapports de classes, la figure usée du propriétaire terrien parasite et fainéant, de l’aristocrate sans noblesse, dénué d’utilité sociale, seul hors du principe de réalité, dans une société tsariste encore féodale par les titres, mais en mutation latente?



Reprises :
1er-2 octobre 2014 - Théâtre d’Angoulême / www.theatre-angouleme.org
4 octobre 2014 - Théâtre de Saint-Maur / www.theatresaintmaur.com
8-9 octobre 2014 - Théâtre du Vellein (Villefontaine) / www.capi-agglo.fr
11 octobre 2014 - Grimaldi Forum (Monaco) / www.tpgmonaco.mc
14 octobre 2014 - Théâtre de Corbeil-Essonnes / www.theatre-corbeil-essonnes.fr
16 octobre 2014 - Th. Alexandre Dumas (St-Germain-en-Laye) / www.tad-saintgermainenlaye.fr
18 octobre 2014 - Figuier Blanc (Argenteuil) / http://www.argenteuil.fr/401-le-figuier-blanc.htm
22-23-24-25 octobre 2014 - Odyssud (Blagnac) / www.odyssud.com
28-29 octobre 2014 - Théâtre de Beausobre (Morges, Suisse) / www.beausobre.ch
3-4 novembre 2014 - Maison de la Culture (Amiens) / www.maisondelaculture-amiens.com
6 novembre 2014 - Théâtre Edwige Feuillère (Vesoul) / www.theatre-edwige-feuillere.fr
8-9 novembre 2014 - Opéra de Vichy / http://www.ville-vichy.fr/opera-vichy.htm
12-13 novembre 2014 - Le Colisée (Roubaix) / www.coliseeroubaix.com
15 novembre 2014 - Théâtre des Sablons (Neuilly-sur-Seine) / www.theatredessablons.com
18-19-20 novembre 2014 - Théâtre de Nîmes / www.theatredenimes.com
23 novembre 2014 - Centre Culturel Jacques Duhamel (Vitre) / www.mairie-vitre.com
25-26 novembre 2014 - Théâtre Anne de Bretagne (Vannes) / www.theatre-tab-vannes.com
28 novembre 2014 - Théâtre de Chartres / www.theatredechartres.fr
1er décembre 2014 - Théâtre de Douai / www.ville-douai.fr
6-7 décembre 2014 - Anthéa Antipolis Théâtre d’Antibes / http://www.anthea-antibes.fr/fr
10-11-12-13-14 décembre 2014 - Célestins – Théâtre de Lyon / http://www.celestins-lyon.org
16 décembre 2014 - Centre Culturel de Taverny / www.ville-taverny.fr
18-19 décembre 2014 - Le Grand Angle / www.le-grand-angle.fr