NOVA (La Loge)
Mise-en-scène de Raouf Raïs
Avec Cécile Chatignoux, Ophélie Legris, Jean-Antoine Marciel, Patrice Riéra et
Sophie Mourousi.
Consultant artistique : Laurent Chauzain
Scénographie et costumes : Patrick Cavalié
Scénographie et costumes : Patrick Cavalié
Les lettres éponymes N, O, V, A, disposées au sol, annoncent quelque chose de lumineux et de mouvementé. S’avère donc surprenante la (très) longue introduction, l’attente noire et silencieuse, toute en retenue. Le calme avant l’intempestif. « Nova, c’est la fête des possibles », prévenait le flyer jaune et noir. Un (faux) faux départ musical annonce la couleur en filigrane.
La musique (deuxième mouvement de la 7ème Symphonie de Beethoven) finit par percer et monter, solennelle, en un long crescendo tant mélodique que sonore, jusqu’à devenir aussi assourdissante que cette introduction est longue. La lumière se fait, elle aussi progressivement.
Inactifs et en silence, un premier regard émerge vers les spectateurs, qui
devient une présence, nerveuse, comme ayant déjà commencé intérieurement son
soliloque, un peu avant que ne jaillisse sa voix. Dans cet extrait des Villages de Peter Handke, il est
question du big-bang, de la naissance de la matière, des étoiles et de leur
spectaculaire trépas. Ce qui paraissait jusqu’alors éruption brute et presque incontrôlée d’un savoir
à destination des spectateurs, fait réagir de plus en plus les autres yeux et
lèvres en présence sur scène. L’exposé se tourne vers eux et devient dialogue
dans l’explication à un tiers profane et peu au fait des choses de l’univers
lointain, dont les questions et réactions dévoilent l’humour et la légèreté de
mise au-delà du fond scientifique développé de prime abord.
Dans son effondrement dû aux forces gravitationnelles, une étoile libère toute
sa lumière et prend une forme appelée « NOVA », ou « supernova ».
Le soleil lui-même, dans cinq milliards d’années, n’existera plus sous la forme
qu’on lui connait et rétrécira jusqu’à devenir une naine blanche. Les trous
noirs, formés d’antimatière, absorbent lumière et matière et les
détruisent ; il en est un au centre de notre univers…
« Mais, moi, je peux le voir le trou noir ?... »
Ce savoir supposé universel dérive en théories plus fantasques d’extraterrestres
qui seraient mentionnés dans les hiéroglyphes des pyramides, elles-mêmes
disposées telles une carte de la constellation d’Orion, constellation du Lion
qu’était le Sphinx à son origine (avant qu’il ne soit « rénové par Néfertiti sous
ses traits »). Des naïvetés et des doutes l’avaient déjà interrompu auparavant,
mais là c’en est trop, la contestation met fin à l’exposé : « C’est
du flanc ! Toutes les théories, c’est du flanc. »
Syncrétisme éphémère
Ainsi naissent et meurent les
univers abordés à partir d’un réel scientifique, situationnel ou vécu, qui
explose et irradie jusqu’à s’éteindre, « comme on casse un objet pour voir
ce qu’il y a dedans ». Savoir, discussion, souvenir, tout passe au moulinet
un brin surréaliste du collectif Hubris.
Le collectif compte une entité fixe, les créateurs du collectif qui définissent le cadre et la direction artistique, et une entité mouvante d’artistes qui sont forces de proposition au service de la création, ainsi construite à partir d’improvisations. En note d’intention, le collectif définit son objet et sa cible : non pas se divertir du réel pour en échapper, mais se divertir avec le réel, en abstraire les « phénomènes répétitifs, anodins et contradictoires, les porter à la scène, pour transcender le réel le renouveler. »
Le collectif compte une entité fixe, les créateurs du collectif qui définissent le cadre et la direction artistique, et une entité mouvante d’artistes qui sont forces de proposition au service de la création, ainsi construite à partir d’improvisations. En note d’intention, le collectif définit son objet et sa cible : non pas se divertir du réel pour en échapper, mais se divertir avec le réel, en abstraire les « phénomènes répétitifs, anodins et contradictoires, les porter à la scène, pour transcender le réel le renouveler. »
Patrice Riéra expectore, à toute vitesse et dans un
essoufflement réel, une journée de malchance, constamment marquée de
circonstances désastreuses, tant matérielles qu’affectives.
Dans un dialogue mâtiné de la gêne pathétique d’une amie qui ne veut pas savoir, Cécile Chatignoux raconte la mélancolie et soulève la question du suicide – qu’elle prononce à peu près « sucide », mais ne pouvant mettre le doigt sur le terme « sucide » dans le dictionnaire, elle s’est finalement ravisée quant à ses pulsions de mort.
C’est très légèrement et avec nombres de détails pittoresques et drôles qu’Ophélie Legris débute l’évocation d’une séance de babysitting qui tournera soudain, et visiblement dans ses yeux, au cauchemar…
Ce sont parfois des simultanéités incongrues qui surprennent.
Dans un dialogue mâtiné de la gêne pathétique d’une amie qui ne veut pas savoir, Cécile Chatignoux raconte la mélancolie et soulève la question du suicide – qu’elle prononce à peu près « sucide », mais ne pouvant mettre le doigt sur le terme « sucide » dans le dictionnaire, elle s’est finalement ravisée quant à ses pulsions de mort.
C’est très légèrement et avec nombres de détails pittoresques et drôles qu’Ophélie Legris débute l’évocation d’une séance de babysitting qui tournera soudain, et visiblement dans ses yeux, au cauchemar…
Ce sont parfois des simultanéités incongrues qui surprennent.
Tandis que résonnent les douces cordes – vocales et instrumentales – d’Ophélie sur l’air de la « Supplique... » de Georges Brassens, Jean-Antoine enlève frénétiquement ses vêtements, les yeux fixes, comme en transe, avant d’entamer une danse disco des moins idoines. Un peu plus tard (une fois remis son costume) il porte une chaise au centre et offre à celui de l’assistance qui se sent « suffisamment libre » de venir y prendre place, pour se faire tuer au moyen d’un long couteau… et revenir à la vie cinq minutes après. Seulement, prévient-il, « on n’est pas dans un spectacle de magie ici, on est au théâtre, et au théâtre tout est vrai ! » Cécile s’assoie sur la chaise en conscience, mais heureusement on est déjà passé à autre chose.
Ce moment de théâtre – qui
voudrait presque faire mine de ne pas l’être – est constamment jalonné de soubresauts
audacieux d’un registre à l’autre, du rire ironique ou volontairement régressif
à l’émotion pure. Par les coupures nettes et tranchées des
séquences successives et entrelacées, le spectateur accède à l’idée que
n’importe quoi pourrait parfaitement avoir lieu devant lui et exploser en cours
de route, ou s’éteignant peu à peu – tel un « fondu au noir » en
matière cinématographique – vers un autre mouvement, au sens aristotélicien de
changement et d’avènement.
Pour bonne part de l’émotion suscitée, « l’esprit de la nouvelle
ère » est incarné en verbe par Sophie Mourousi. Restée assise, consciencieusement
inactive et silencieuse durant la première moitié de la représentation, son
intervention étonnerait presque déjà en soi. Au public et au-delà, elle adresse
un message, son « poème dramatique » dit-elle. Message philologique,
ésotérique, aux accents symbolistes et futuristes. C’est aussi sur ses paroles,
lors d’une seconde et ultime intercession, que se conclue NOVA.
« Le tremblement de vos paupières, c’est le tremblement de la vérité ».
« Le tremblement de vos paupières, c’est le tremblement de la vérité ».
Les références littéraires invoquées sont principalement romantiques : derniers écrits de Victor Hugo (« J’ai vu la lutte de la nuit et du jour, j’ai vu la lumière noire »), Gérard de Nerval et son « Soleil noir de la mélancolie », George Sand…
« La nouvelle création du Collectif Hubris n’a pas pour objectif de se divertir du réel mais de se divertir avec le réel. Il ne s’agit pas ici de faire diversion, de se changer les idées, de penser à autre chose que le quotidien. Il s’agit de partir de situations du quotidien ( activités, sensations, conversations), d’en extraire les phénomènes répétitifs, anodins et contradictoires, de les porter à la scène, pour transcender le réel, le renouveler. Il s’agit de rappeler que chaque expérience est unique, que chaque pas est un pas différent, que la surprise est immanente. »
Ce qui ressort de ce patchwork d’éclipses et ce qui lie les
scènes semble être un canevas appliqué au réel et à sa représentation : celui
de supernovas qui se succèderaient dans une valse perpétuelle de vie et de
mort. Comme il en est des étoiles, de l’effondrement parfois abrupte d’un temps
jaillit la lumière d’un autre moment, tantôt grotesque et absurde, tantôt
poignant d’innocence, de (douce) mélancolie et de sincérité.
Serties de multiples absurdités intempestives et de vérités transgressives, aussi éphémères et imprévisibles qu’un vol de papillon, les mouvements y naissent tels des créatures florales, esquissées, respirées un instant puis jetées, qui s’étiolent tout en libérant les germes et la place au présent subséquent, tout autre et tout proche à la fois.
Serties de multiples absurdités intempestives et de vérités transgressives, aussi éphémères et imprévisibles qu’un vol de papillon, les mouvements y naissent tels des créatures florales, esquissées, respirées un instant puis jetées, qui s’étiolent tout en libérant les germes et la place au présent subséquent, tout autre et tout proche à la fois.
Le style de NOVA et l’énergie déployée peuvent largement faire chavirer tous les préjugés existant sur le théâtre (notamment auprès d’un public jeune). Mais le spectacle peut aussi paraître (à chaud et sans mûre réflexion) un peu confus dans ses enchaînements et difficile à suivre dans le fond développé.
NOVA a été présenté du 24 mai au 2 juin 2011 et repris les 28, 29 février et 1er mars 2012.
Le collectif Hubris est en résidence à La Loge (77 rue de
Charonne, Paris 11ème arrt.).
Encore trop confidentielle malgré sa notoriété galopante, La Loge compte beaucoup d’habitués, un public régulier qui en a connu et cerné l’état d’esprit.
Encore trop confidentielle malgré sa notoriété galopante, La Loge compte beaucoup d’habitués, un public régulier qui en a connu et cerné l’état d’esprit.
La programmation et l’accueil en résidence du lieu sont dédiés aux
créations contemporaines, souvent expérimentales à bien des égards, et
teintés tant d’ironie que d’onirisme.
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